Quoi Bellegueule? Qu'est ce qu'il a, Bellegueule?

On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille... Chantait Maxime Leforestier. Et c'est vrai, c'est une évidence dès les premières lignes : oh non Edouard Louis n'a pas choisi sa famille et c'est ballot car très clairement, il y a une incompréhension totale entre eux, un fossé profond, qui n'ira qu'en se creusant.

Voici donc "En finir avec Eddy Bellegueule", qui a fait couler beaucoup d'encre. Forcément, un portrait au vitriol (d'aucuns diraient sans concession) d'une famille plutôt Groseille que Le Quesnoy, par un fils sorti de Normale Sup, ça dépote.

Eddy est donc issu d'une famille très très (...) très modeste de la Somme. Le décor est planté, avec tous ses clichés : le nord, la campagne picarde, la pauvreté intellectuelle, la précarité, la misère sociale, et tout ce qui va avec. Les filles seront caissières et feront des enfants très tôt, les garçons iront à l'usine, ou seront chômeurs. Voilà. On n'échappe pas à son milieu, on n'échappe pas à ce dogme là : dans l'univers d'Eddy Bellegueule, on suit le chemin qui est tracé, point.

Oui mais Eddy est un petit garçon, puis un ado à part. Il fait "des manières" (sic), il est efféminé, et ça, ça met son entourage très très mal à l'aise. Car dans ce milieu décrit comme misogyne, raciste et homophobe, un "sale pédé" ça ne passe pas... Les ennuis d'Eddy vont donc commencer dès le collège, Eddy va se faire casser la gueule, cracher dessus ouais une sale petite tapette et il se laisse faire ah ah on va aller casser du pédé allez.

Eddy va se taire, la honte, la volonté de ne pas faire de vagues, tout cela, confusément sans doute. Et Eddy va essayer de faire "comme les autres", les autres garçons de son milieu : le foot, la bière, les filles. Mais non, Eddy, pas encore Edouard, n'est pas fait pour cette vie là. Mais il va chercher, désespérément, à donner le change, au moins pour ses parents.

Que dire de ce premier roman (l'auteur avait déjà écrit, mais des essais)? Que c'est un choc, un coup de poing, que c'est violent, très cru et dérangeant. Pourquoi?

Pour de nombreuses raisons : déjà un fils qui détaille, dissèque même son milieu d'origine avec un recul incroyable, c'est assez saisissant. Si j'ai trouvé le style incisif et brillant, le principe courageux, sur le fond j'ai été très mal à l'aise tout au long de la lecture.

Ca m'a fait l'effet d'un enfant des beaux quartiers qui décrit une famille de cousins "fout-la-honte". Avec une certaine tendresse, avec bienveillance, parfois, mais aussi avec la cruauté que son intelligence et son sens de l'analyse lui permettent.

Voilà le terme qui caractérise parfaitement ce roman : cruauté. Cruauté des bourreaux d'Eddy, cruauté de ce milieu social vraiment défavorisé, où la misère intellectuelle la plus crasse semble se complaire dans sa fange. Mais aussi cruauté de cet écrivain brillant qui va prendre son bistouri pour inciser, et mettre sur la table les entrailles de cette famille.

Cruauté de ce qui est décrit, cruauté dans la façon de le décrire.

Oui j'ai été très gênée. Le talent d'Edouard Louis est mis au service d'une cause qui met nécessairement mal à l'aise : décrire une enfance qui n'a rien de dorée, montrer au monde entier une famille très modeste, avec ses remarques salaces, ses commentaires à l'emporte-pièce, son ignorance, sa bêtise, souvent. C'est dur quand même...

J'ai donc été très partagée. Sur la forme, Edouard Louis est un écrivain de talent, c'est indéniable, ce premier roman est très prometteur. Sur le fond... Je le plains, sincèrement, pour cette jeunesse dure, humiliante, et je le plains, car il faut assumer après avoir publié un brûlot pareil. Enfin j'écris brûlot mais ce n'est pas le bon terme, car ce n'est pas un portrait à charge, l'auteur ne se donne pas le beau rôle, il n'y a pas de méchants et de gentils, non, il y a le brutale réalité, le sordide ordinaire, et tout cela est exposé sous une lumière crue, clinique...

Mais voir les tripes de cette famille qui au départ n'a rien demandé, c'est un exercice pour le moins délicat...

La chanson qui va bien avec : "ma gueule" de Johnny, forcément!!