Les choix de Magda [Sébastien Spitzer - ces rêves qu'on piétine]

Publié le par la liseuse paresseuse

Oui sa vie est romanesque, assurément : enfant d'une domestique, qui l'a longtemps élevée seule mais avait pour elle de grandes ambitions, jeune fille curieuse de tout, vive et intelligente, amoureuse d'une figure du sionisme, puis, désoeuvrée, admiratrice folle du national-socialisme, avant de devenir l'épouse du ministre de la propagande, le sinistrement célèbre Joseph Goebbels, voilà les grandes lignes de la vie de Magda. 

Et cette vie est une partie de la matière première du roman de Sébastien Spitzer : "ces rêves qu'on piétine". Un premier roman. Wahou! 

1945. La seconde guerre mondiale vit ses derniers soubresauts. Dans la fin de cet enfer, un autre enfer continue, celui des déportés qui doivent subir les dramatiques évacuations des marches de la mort. Parmi ces morts-vivants qui tentent encore de survivre, une enfant : Ava. Ava défend farouchement un rouleau de cuir qui contient de mystérieux textes, des lettres. Ce rouleau est passé de main en main, entre plusieurs déportés, qui ont tous péri dans la marche forcée, avant qu'il n'atterrisse entre les petites mains d'Ava. Ava est née dans un camp d'extermination, elle n'a connu que l'horreur, alors les atrocités qu'elle traverse encore, elle les aborde avec une farouche volonté de vivre. Elle va croiser des chemins, elle va traverser de terribles épreuves, et elle garde auprès d'elle ces écrits qui cristallisent bien des curiosités. 

Berlin, dans le même temps. Au fond d'un bunker, les derniers fanatiques du nazisme. Certains se bercent encore d'illusions, d'autres savent que tout est fini et parmi eux, Magda Goebbels. Elle sait qu'elle ne survivra pas au IIIème Reich, et elle a décidé que ses enfants non plus. 6 jolis enfants blonds, âgés de 4 à 12 ans, largement montrés dans des films familiaux qui servaient de propagande en tant que famille aryenne idéale. Magda a tout connu, et surtout la gloire et la célébrité : elle est la femme la plus puissante du régime, épouse d'un homme lui-même tout-puissant et compagnon de route de longue date d'Hitler. Magda incarne à la perfection la femme allemande rêvée par les nazis : blonde, belle, solide, fertile. Mais Magda est une femme intelligente et pragmatique, qui a fait des choix de vie en suivant toujours son intérêt. Aujourd'hui à l'heure où l'Allemagne nazie s'effondre, elle refait le parcours de sa sinueuse vie. 

Ce premier roman alterne donc les chapitres sur les deux destins : celui de la petite Ava, autour de laquelle tout s'effondre, mais autour de laquelle tout va se reconstruire, bientôt. Une petite fille qui doit échapper à mille dangers, et bien plus d'horreurs. Une petite fille qui va conserver ce mystérieux rouleau de cuir. Et celui de Magda, qui à l'heure de la chute finale se retourne sur les choix de sa vie, elle qui a été une enfant bien éduquée, choyée par un compagnon de sa mère, Richard Friedländer, un homme cultivé, qui l'a aimée et l'a éveillée à la curiosité intellectuelle... Un homme juif, qui a aimé Magda comme sa propre enfant. Mais il n'y a pas beaucoup de place pour l'amour dans l'Allemagne des années 30 et 40 et celui-ci ne pèsera pas bien lourd face à la dévorante ambition de Magda. Une femme qui va refermer une à une les portes de son passé, pour ne plus qu'être la mère aryenne idéale, élégante, souriante... Face caméra. Une mère qui se livrera à un sextuple infanticide. Un choix, un dernier choix, insondable, vertigineux et terrifiant. 

Ce roman nous entraîne donc dans les rêveries de Magda, qui se promène dans les décombres de son passé, qui s'apitoie beaucoup sur son propre sort, sans regretter ce qui l'a sciemment amenée dans sa dramatique situation. Oui Magda inspire du mépris et de la pitié, tandis qu'on tremble pour Ava et le poignant, déchirant récit de son chemin de douleurs. 

Sébastien Spitzer, pour un premier roman, a frappé un grand coup : finesse de l'écriture, sens du rythme, densité des personnages, qualité de l'introspection... Ce livre a été pour moi un vrai coup de coeur. Ces destins si opposés, qui sont bien entendu reliés par un fil, sont brillamment brossés, et on referme les pages avec un sentiment d'effondrement, de néant, à l'image des derniers jours d'avril 1945. Un roman sur le chaos, mené avec une redoutable efficacité. 

 

La chanson qui va bien avec : never let me down again, de Depeche Mode

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