Reconnaissance TARDIve (Jacques Tardi -Moi René Tardi, Prisonnier de guerre au Stalag IIB-)

Publié le par la liseuse paresseuse

tardi C'est quand même une drôle d'idée... Quiconque a lu ne serait-ce qu'un seul album de Tardi comprendrait que non, la Légion d'Honneur, il n'en voudra pas. Ce révolté, indigné par le sort des soldats de la Première Guerre Mondiale, met en images dans "Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB" les carnets de son père, prisonnier de guerre, donc, lors de la Seconde Guerre Mondiale.

Et dans nombre de ses albums, Tardi relève l'absurdité des décisions militaires, le mépris de l'Homme, le poids écrasant d'intérêts dérisoires que l'Histoire oubliera, mais qui pulvériseront chacun... Le tourbillon de l'Histoire avec sa grande Hache, ces ganaches qui envoient la bleusaille à la boucherie, le coeur léger car "c'est pour la Frââââânce".

 

 

Alors vraiment, avoir proposé Jacques Tardi à la Légion d'Honneur; c'était une drôle idée, et un combat perdu d'avance. Je comprends qu'on l'admire, mais le personnage ne fonctionne pas à la flatterie et encore moins aux décorations, lui qui est obnubilé par l'histoire de son grand-père soldat de la Grande Guerre et ses compagnons d'infortune...

Une "anecdote" est racontée par ses soins à la fin de "c'était la guerre des tranchées" : un soldat, pris dans un bombardement sur la ligne de front, canardé, effaré, paniqué, se jette à terre, dans l'horrible boue de cette sale guerre... Il tente de faire corps avec cette boue, de s'y enfouir, de disparaitre de la vue de l'ennemi et même de lea surface de la Terre. Il s'y roule si bien qu'il finit par trouver qu'il y a une odeur, curieuse, non en fait c'est une odeur fétide, épouvantable. Mais il faut survivre, il reste donc dans son trou puant, et la nuit passe... Et au petit matin notre homme découvre qu'il a les mains dans le ventre, ou plutôt les entrailles d'un moins chanceux que lui.

Cet homme, les mains dans le ventre d'un mort, c'était le grand-père de l'auteur.

Ca pose le décor. Ca calme. D'où l'intérêt, quelque peu obsessionnel, de Tardi pour ce conflit, et surtout pour les parcours d'hommes qui l'ont vécu.

 

 

Dans ce dernier album grande nouveauté : Tardi quitte les années 14-18 qu'il a beaucoup explorées, pour le conflit mondial suivant. Il faut dire qu'il dispose des carnets de son propre père (quelle histoire familiale décidément), prisonnier de guerre en 1940 jusqu'à la fin de la guerre.

C'est magistral, comme toujours avec le dessinateur. Il me faut préciser que c'est avec le plus grand soin que Tardi prépare et réalise ses albums, il ne néglige aucun détail, allant par exemple jusqu'à contacter des historiens pour connaître l'emplacement exact d'un bouton sur tel uniforme de soldat, ou de gradé... Obsessionnel disais-je.

Ce soin du détail se retrouve ici, et apporte de la rigueur à un récit dense, âpre, plein de colère et de sentiment d'injustice.

Comme souvent dans les récits de Tardi (car ses BD se lisent comme des romans, et sont tout aussi fournies qu'un pavé de 800 pages), c'est bien la colère qui domine. La colère d'un homme broyé par... Par quoi d'ailleurs? La guerre, ses absurdités, ses politiciens irresponsables et ses militaires pleins de morgue.

 

 

Ce récit est donc éprouvant, il ressemble à un combat de boxe, on cherche à esquiver les coups mais les poings de l'auteur nous frappent, encore et encore, par la violence de l'histoire et la noirceur des traits.Les images viennent nous heurter, les faits nous remuent profondément.

Les hivers interminables, l'humidité glaçante du Stalag sont ici rendus avec un réalisme terrible.

C'est donc une BD âpre, dure, qui témoigne de la colère et de l'indignation d'un homme. Mais qui se lit comme un polar, doublé d'un témoignage rare.

 

 

Ca ne doit pas être simple non seulement de lire les carnets de captivité de son propre père (disparu avant le début du projet) et de découvrir les épreuves traversées, mais aussi de s'y plonger pour les mettre en images. Et avec talent.

J'ai refermé ce livre sonnée, éprouvée, captivée.

 

 

Je ne peux que vous conseiller d'autres livres du même auteur, et en particulier toute sa série sur la Première Guerre Mondiale : "c'était la guerre des tranchées", "Putain de guerre!", "Varlot soldat"...

Sa mise en images des aventures de Nestor Burma est également palpitante : "Brouillard au Pont de Tolbiac", "120 rue de la Gare", "Casse-pipe à la Nation"..., Et enfin son travail de titan sur la Commune, avec les 4 tomes du "Cri du Peuple" est à ne pas rater, c'est très dense, pas toujours facile à lire (l'histoire de la Commune étant pour ma part méconnue dans les détails) mais totalement remarquable.

 

Drôle d'idée de proposer Tardi à la Légion d'Honneur... Il vaut mieux lire ses albums, et comprendre tout ce qu'il a à dire. Moi il me permet de me sentir moins seule dans mes obsessions historiques, il met des images sur mes interrogations, des images en noir et blanc.

Pour en finir aussi, avec cette image qu'on peut avoir du prisonnier de guerre qui finalement serait resté à l'écart des épreuves de la dernière guerre... C'est à mon sens un travail de réhabilitation des souffrances des méprisés de ce conflit, qui ont subi humiliations, douleurs de la faim et de la soif, maladies et... Oubli.

 

 

 

chinese-poster lgLa chanson qui va bien avec : le superbe "mon dernier soldat" des Innocents

 


 


Publié dans BD à ne pas rater

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