Ils ont tiré sur l'irrévérence

Publié le par la liseuse paresseuse

Ils ont tiré sur l'irrévérence

Tirer sa révérence, tirer sur l'irrévérence....

Ca fait un mois tout juste. Un mois que j'ai appris stupéfaite, atterrée, en larmes, complètement bouleversée. Frappée de stupeur. En fin d'après midi j'avais pris mes petitous sous le bras et nous étions allés à Aix en Provence, au sein du rassemblement silencieux. Au milieu de la foule recueillie et aussi émue que moi, je m'étais sentie un tout petit peu moins seule dans cet écrasant chagrin.

Le lendemain... Une toute jeune femme. L'horreur encore. Le surlendemain, des citoyens français, fauchés eux aussi, parce que juifs. 70 ans après la libération d'Auschwitz, l'hydre hideux de l'antisémitisme n'est toujours pas mort, pas même sur le sol français. 73 ans après la rafle du Vel d'Hiv on en est donc encore là????

Nous étions au milieu de la foule aixoise le dimanche 11 janvier. Une foule plus bruyante, révoltée, debout et digne. Ça fait du bien. Mais ça ne fait pas tout...

Ça fait un mois que j'essaie de réfléchir à mettre des mots sur tout ça. Mais quels mots? Comment? Pour dire quoi dans tous les sentiments qui me traversent?

Parce que depuis cet épouvantable enchaînement depuis le 7 janvier je suis profondément bouleversée, atteinte dans mes convictions. J'avais le sentiment que, quand même, notre démocratie était assez solide pour que nous soyons à l'abri de telles boucheries. Qu'on pouvait faire preuve d'irrévérence, de provocation potache sans risquer sa vie, parce qu'on a le droit d'exprimer ses idées dès lors qu'elles sont bien sûr dans le cadre légal (hors incitation au meurtre, à la haine raciale et diffamation, on peut s'exprimer trèèèès largement). Qu'on pouvait vivre tranquillement en tant que citoyen français, peu importe qu'on soit juif, musulman, catholique, shintoïste ou athée. Qu'on pouvait aller faire ses courses dans un magasin casher sans risquer sa vie. Faire son travail de policier ou d'agent d'entretien sans risquer sa vie. Parce qu'on est en France, bordel.

Alors oui depuis un mois je suis abasourdie et bouleversée. A certains moments je me dis que ce n'est pas vrai,que ça n'a pas pu arriver... Mais si.

il n'y a pas une vie plus précieuse qu'une autre, elles le sont toutes. Et ces 17 vies brisées sont 17 offenses faites à ce pays. Mais je l'avoue, quand j'ai appris vers 12h30 ce 7 janvier l'attaque contre Charlie Hebdo j'ai tout de suite pensé à Cabu, et j'ai espéré qu'il ne lui soit rien arrivé. 11 morts annoncés à ce moment-là et j'étais folle d'angoisse, comme si des membres de ma famille étaient menacés, embarqués dans ce cauchemar. Il n'y a pas de vie plus précieuse qu'une autre, mais je l'avoue à ce moment là, c'est le sort de Cabu qui me tourmentait. Quand une heure plus tard j'ai appris sa mort (en même temps que celle de Tignous) c'est vrai j'ai sangloté. Je ne pouvais pas y croire, Cabu avec sa tête d'enfant. Cabu avec son air facétieux, avec son coup de crayon inimitable. 3 esquisses et hop le personnage (souvent personnage politique) était parfaitement croqué. Une aisance et un regard impressionnants. Tirer sur Cabu? Hein, quoi? Mais mais... Pourquoi, comment? Quel cerveau malade peut seulement concevoir ça?

Cabu je l'ai d'abord connu, comme toute la génération, via RecréA2 et Dorothée. Il parlait, déjà, intelligemment aux enfants, en toute simplicité et humilité.

Puis ado je suis devenue lectrice de Charlie Hebdo et de ses hors séries qui me parlaient si bien : les Megret gèrent la ville (de Luz, à mourir de rire), ou Charlie saute sur Toulon (collectif, couverture de Cabu déjà). C'était déjà potache, irrévérencieux, parfois de mauvais goût oui, mais toujours drôle et piquant. C'était un esprit très libre et très particulier qui soufflait à travers ce journal, et j'aimais ça.

Puis je suis passée, si on peut dire, au Canard Enchaîné. Avec les dessins de Cabu en fil rouge. L'excellence, pour moi, du journalisme. L'intransigeance intellectuelle, l'honnêteté, l'absence de concessions et toujours l'humour. Un modèle.

Et puis il y a eu le 7 janvier. Le 8 janvier. Le 9 janvier.

Alors quoi? Plus de Cabu dans le Canard? Plus de Bernard Maris pour le débat eco chaque vendredi matin sur France Inter? Plus de dessins façon gravures d'Honoré? Et les femmes à poil de Wolinski? Ces femmes qui me choquaient tant quand je lisais petite les Paris Match de mes grands-parents (ça me fait sourire d'y repenser). Plus de Maurice et Patapon? Plus de personnages poursuivis par des mouches dans les colonnes de Marianne? Tiens j'ai sous les yeux un hors série de Charlie Hebdo sur les sectes. C'était une somme de très bons reportages sur toutes les pratiques sectaires, illustrée par Tignous. Quelle ironie...

Alors quoi? Une toute jeune femme qui se fait tirer dans le dos?

Alors quoi? Des gens qui vont tout simplement faire leurs courses, et qui sont assassinés. Parce que... Parce qu'ils sont juifs, hein quoi, c'est une raison valable pour quelqu'un ça???

Ca me rend toujours malade. Pendant des jours je n'ai pas décroché : presse écrite, sites en ligne, émissions de télé... Et puis, bien sûr l'actualité est passée à autre chose, et c'est normal. Mais j'ai du mal à passer à autre chose. Tourmentée, démunie, triste...

De nombreux dessins ont fleuri suite à ces jours sombres de janvier. Certains ont été compilés dans un livre "La BD est Charlie" que j'ai justement reçu aujourd'hui. Je vous invite bien évidemment à l'acheter, sachant qu'il est vendu au profit, si on peut employer ce terme, des familles des 17 victimes (c'est ce qui est affirmé sur la 4ème de couverture).

Voici quelques petits aperçus de dessins qui m'ont particulièrement plu, qui expriment un sentiment unique, mais de manières très différentes, sous des angles variés :

Aude Massot

Aude Massot

Decaux (tout simple... il m'a beaucoup touchée)

Decaux (tout simple... il m'a beaucoup touchée)

Ferri

Ferri

Jean-Christophe Mazurie

Jean-Christophe Mazurie

Kroll (j'ai adoré le "et venez à table")

Kroll (j'ai adoré le "et venez à table")

Manu Larcenet (on l'a beaucoup vu, mais c'est vrai qu'il est excellent)

Manu Larcenet (on l'a beaucoup vu, mais c'est vrai qu'il est excellent)

Le Cil Vert

Le Cil Vert

Lucile Gomez et Frédéric Lupano (la coiffure de Cabu en a inspiré beaucoup!)

Lucile Gomez et Frédéric Lupano (la coiffure de Cabu en a inspiré beaucoup!)

Obion

Obion

Stéphane Roux

Stéphane Roux

Martin Vidberg (suivez donc son blog "l'actu en patates" c'est très bon)

Martin Vidberg (suivez donc son blog "l'actu en patates" c'est très bon)

Ils ont tiré sur l'irrévérence

Si vous en avez l'occasion, (re)lisez donc, parmi tant d'autres ouvrages, "Cabu en Amérique", "plutôt Russe que mort" (un très bon document sur la vie sous l'URSS), "Cabu en Chine", les recueils du Canard Enchaîné où les dessins de Cabu figurent en bonne place, parmi ceux de Pétillon ou Lefred-Thouron, pour ne citer qu'eux, le Grand Duduche et j'en passe...

Cabu, vache avec les puissants, les arrogants, les forts, et si tendre avec les faibles, les sans-grades, les modestes, les doux.

Ils ont tiré sur l'irrévérence. Ils ont tiré sur des dessinateurs, des gens qui dissertaient, qui n'avaient d'autre crime que celui de penser, et d'avoir de solides convictions. Qui étaient, j'en suis convaincue, des gens gentils, des êtres humains, tout simplement.

Ils étaient 17... 4 millions de personnes ont marché pour dire qu'ils comptaient pour nous tous, et qu'ils allaient nous manquer.

La démocratie est une vieille dame fragile. Il nous faut en prendre grand soin, et rester, toujours, vigilants.

Rester digne. Rester debout.

Au revoir Cabu, tu me manques, tu sais. Je pleure avec l'Adjudant Kronenbourg et Mon Beauf, et c'est bien la première fois qu'ils me sont sympathiques...

Quelques liens utiles : 

Le site de Charlie, pour s'abonner, faire un don... Rappelons que le webmaster, Simon Fieschi, a été très grièvement blessé lors de l'attaque. Que d'autres blessés se battent toujours pour survivre...

http://charliehebdo.fr/

Amnesty International : une association qu'on ne présente plus... Et qui peut faire bouger les lignes. A l'heure où, pour ne citer que lui, le bloggueur saoudien Raif Badawi attend dans sa prison les 50 prochains coups de fouet sur les 1 000 (mille!!!!) auxquels il a été condamné, l'association reste plus que jamais une référence dans la lutte pour le respect des Droits de l'Homme, partout dans le monde : 

http://www.amnesty.fr/

Car bien entendu, la violence, la barbarie, l'obscurantisme n'ont pris aucun repos pendant tous ces évènements, partout dans le monde...

Et puisqu'il n'y a pas de liberté d'expression sans liberté de la presse (n'en déplaise à certains participants "illustres" à la marche républicaine du 11 janvier, par exemple Viktor Orban, pas loin de nous), rappelons que Reporters sans Frontières se mobilise sur ce front là.

http://fr.rsf.org/

Ils ont tiré sur l'irrévérence

Une chanson, pour terminer ce billet... "La maison monde" d'Aldebert, qui lui aussi parle intelligemment aux enfants avec ses chansons drôles, pertinentes, émouvantes et sensibles...

Une chanson qui, ça tombe bien, parle d'autres cultures, d'une maison qui se construit avec des étages variés, métissés... Voilà voilà.

Bon courage Coco, Luce Lapin, Luz, Laurent Léger, Catherine, Mathieu Madénian,Patrick Pelloux, Zineb El-Rhazoui,Riss, Willem, Riad Sattouf, Louison, Gérard Biard, Jean-Yves Camus, Antonio Fischetti, Fabrice Nicolino (allez le soutenir, il est toujours grièvement blessé), Sigolène Vinson (un témoignage à lire, son papier dans le dernier Charlie Hebdo, où elle utilise le chien qui était dans les locaux pour décrire ce qui s'est passé est bouleversant), Philippe Lançon, Sylvie Coma... Il va vous en falloir. Vous en avez.

Allez lire aussi le dernier numéro de Causette, Liliane Roudière, qui a travaillé 10 ans à Charlie Hebdo, dresse un merveilleux portrait du dessinateur Honoré.

#JeSuisCharlie

les noms des 17 victimes de janvier 2015

les noms des 17 victimes de janvier 2015

Et parce que ce n'était pas des noms, mais des êtres humains, avec des joies, des espoirs, des projets... Leurs visages

Et parce que ce n'était pas des noms, mais des êtres humains, avec des joies, des espoirs, des projets... Leurs visages

Publié dans Hors Catégorie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article