Un regard persan... [Ramita Navai - "vivre et mentir à Téhéran"]

Publié le par la liseuse paresseuse

Un regard persan... [Ramita Navai - "vivre et mentir à Téhéran"]

Les révolutions arabes ont démarré il y a 5 ans... Et depuis, force est de constater que certains pays concernés ont basculé dans le chaos et la guerre civile, comme le Yémen, où s'affrontent à travers un conflit inter-religieux l'Arabie Saoudite sunnite et l'Iran chiite. La tension est encore montée d'un cran en ce début d'année quand l'Arabie Saoudite a exécuté le Cheikh Nimr, un chef religieux chiite. Indignation de l'Iran et regain de crispation entre ces 2 adversaires...

L'Iran est décidément sous le feu médiatique depuis quelques temps : l'accord avec les Etats Unis, ancien "grand Satan", sur le nucléaire iranien a marqué un tournant. Depuis le départ d'Ahmadinejad, le pays semble revenu sur la scène diplomatique internationale.

C'est dans ce contexte que j'ai lu "Vivre et mentir à Téhéran" de Ramita Navai. Une grosse claque et un énorme coup de coeur.

Le titre résume parfaitement ce qui est dépeint dans les différents portraits : autour d'une galerie de téhéranais aujourd'hui, on découvre que leur quotidien est fait de mensonges, de dissimulation, de non-dits et d'arrangements avec la vérité. Et l'auteur nous explique dès le départ que cette façon de vivre, cette façon d'être, est indispensable pour vivre dans la mégalopole iranienne.

Alors en avant pour une galerie de portraits comme des aquarelles : fins, délicats, très travaillés. Le travail est subtil, la lecture passionnante.

On va commencer par suivre le retour au pays d'un opposant, membre de l'OMPI (Organisation des moudjahiddines du peuple iranien), son passé de militant, son engagement. Puis vient le tour de Somayeh, jeune fille très pieuse qui tombe amoureuse de son cousin bling-bling. On découvre que les familles pieuses, conservatrices sont appelées tchadori et on comprend bien pourquoi. Mais même chez les tchadori, le vernis peut se fissurer...

Suivront les portraits d'un fils de militants communistes assassinés au début de la révolution islamique, un chapitre autour du pardon (ou non), de la rédemption; puis celui d'un caïd de quartier, violent et sûr de son bon droit, d'une prostituée devenue actrice de porno (ai-je besoin de préciser que ça finira mal?), d'un ancien caïd qui lutte pour survivre et pour porter à bout de bras sa femme bien-aimée, d'une veuve évoluant dans les hautes sphères de la société...

Ce sont des personnages qui n'ont rien d'extraordinaires, ils viennent de couches diverses de la société, ont des croyances, des principes différents, mais ils évoluent tous dans la même ville, sous le même joug d'une société corsetée, extrêmement conservatrice et violente.

On apprend énormément sur l'Iran d'aujourd'hui, un pays qui, s'il ouvre TRES timidement, reste encore méconnu et secret. Pour ma part j'ai encore l'image du pays de l'ayatollah Khomeini, ennemi juré des Etats Unis. Le pays n'est pas devenu une démocratie, loin s'en faut, et le livre le rappelle fréquemment, mais la société a malgré tout évolué, avec d'un côté les tchadori, et de l'autre des familles qui rêvent d'occident, où la foi n'occupe qu'une place très restreinte pour ne pas dire inexistante. Le tout est saupoudré d'une touche de fatalité si orientale...

Les destins sont extrêmement contrastés, et tous s'organisent autour de l'avenue Ali Vasr, un immense boulevard qui court sur 18 kilomètres du nord au sud de Téhéran : au nord les quartiers chics, au sud les quartiers modestes voire franchement craignos. Les personnages dépeints par Ramita Navai habitent tous les quartiers possibles, et une carte présente au début du livre permet de s'y retrouver.

C'est un voyage, un voyage au coeur de l'intimité des téhéranais, quels qu'ils soient, dans leur puissante banalité. Ces personnages ordinaires sont tour à tour courageux, lâches, inconscients ou touchants. Ils ont une force, un appétit de vivre, et c'est leur point commun : vivre dans cette société si particulière n'est pas une mince affaire. J'ai été frappée par l'hypocrisie profonde de la société iranienne, le chapitre sur Somayeh est particulièrement édifiant.

Vraiment c'est un livre passionnant, je suis enchantée de l'avoir lu : l'écriture est fine et ciselée (chapeau le travail de traduction), les personnages sont extrêmement bien dessinés, sans cliché, sans pathos, sans faux-semblant, et enfin le tout est fascinant. Un de mes plus beaux coups de coeur littéraires!

Un regard persan... [Ramita Navai - "vivre et mentir à Téhéran"]

Si on veut rester dans cette veine iranienne, il est toujours temps de (re)lire "Persepolis" la brillante fresque de Marjane Satrapi. On peut aussi voir le "dessin animé" (c'est plus que cela en réalité, on est loin des petits Mickey) qui en a été tiré, avec au doublage Catherine Deneuve , Simon Abkarian et Chiara Mastroianni.

Persepolis est un roman graphique, en noir et blanc, une histoire de l'auteur dans l'Iran pré- et post-révolutionnaire. C'est magnifique, envoûtant, désespérant aussi tant l'histoire récente du pays est triste et le destin de Marji bouleversé et bouleversant. Je sais que le terme peut sembler galvaudé mais c'est un chef-d'oeuvre, que je prends plaisir à relire régulièrement.

Un regard persan... [Ramita Navai - "vivre et mentir à Téhéran"]

La chanson qui va bien avec : "Mon amie la rose", une reprise de Natacha Atlas

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