Un seul coeur pour 2 corps ["réparer les vivants" Maylis de Kérangal]

Publié le par la liseuse paresseuse

Un seul coeur pour 2 corps ["réparer les vivants" Maylis de Kérangal]

Simon est un grand jeune homme, un surfeur qui bien qu'habitant au Havre, parvient à assouvir sa passion, même en cette froide matinée de février.

Ce matin là, très tôt, 3 amis vont donc surfer dans la mer glaciale. Puis c'est le retour, dans la fourgonnette surchauffée. Le chaud-froid, l'heure très matinale, l'effort physique... C'est l'accident. Simon part en réanimation, et les premiers retours d'examen ne laissent pas de place au doute : les séquelles neurologiques et surtout cérébrales sont irréversibles. En d'autres termes : même si Simon respire (merci les machines), même si son coeur bat, Simon est mort.

C'est l’implacable, la terrifiante réalité qui ouvre "Réparer les vivants" de Maylis de Kérangal.

Sa mère est prévenue, et le docteur Révol a alors la tâche délicate de lui faire comprendre l'affreux diagnostic. Oui son enfant est en réanimation, allongé, le souffle régulier, mais il ne reviendra jamais d'où il est, c'est fini, son cerveau est irrémédiablement détruit. Les limbes où se trouve Simon sont sans retour.

Maintenant que les mots sont posés, il va falloir passer à l'étape suivante : Simon est/était jeune, en parfaite santé. Or il y a dans le même temps des malades qui attendent désespérément une greffe. Simon pourrait être donneur, et ainsi après sa mort sauver plusieurs vies.

"Réparer les vivants" est le récit d'une transplantation cardiaque, car si le corps de Simon va pouvoir dans le roman fournir plusieurs greffons, l'auteur s'intéresse au destin de cet organe singulier, complètement à part qu'est le coeur. Ce coeur qui bat encore, dans un corps qui est pourtant mort : quel vertige, quel défi pour la raison. Car pour le commun des mortels, un coeur qui bat c'est la vie qui est encore là. Dans n'importe quelle série, dans n'importe quel roman, on sait qu'en cas de doute le premier réflexe consiste à prendre le pouls... S'il est perceptible alors la mort est exclue. Et pourtant...

Maylis de Kerangal détaille donc dans ce roman toutes les étapes d'une transplantation délicate et lourde de sens, depuis l'accord de la famille, à la dernière suture dans le nouveau corps qui accueille le greffon... Un cercle inouï, qui défie l'imagination : un organe si intime, qui voyage d'un corps qui ne vivra plus vers un corps qui prendra un peu plus de (sur)vie.

C'est un roman brutal, non pas par l'écriture mais par le thème choisi, car il est question de mort, et de vie entremêlés, il est question de chairs et de sang, de deuil, de révolte, d'attente et de machines. Il est question des incroyables moyens médicaux mis à disposition -à très juste titre évidemment- des transplantations. Ce roman est aussi une course contre la montre, une urgence qui oppresse la poitrine tout au long de la lecture : tic tac, il faut l'avis des proches, vite, tic tac il faut trouver des hôtes, tic tac, il faut prévenir les équipes, tic tac il faut organiser les transferts, tic tac il faut prélever, tic tac il faut transplanter. Urgence vitale, angoisse absolue, sang-froid obligatoire.

La description de l'opération de prélèvement des organes de Simon est très réaliste et, en conséquence, très éprouvante. Ames sensibles s'abstenir! Même si Simon est mort, le moment où l'équipe médicale va arrêter le coeur est vertigineux, angoissant, déchirant. Voilà, c'est sûr, il n'y a plus aucune ambiguïté (il n'y en a jamais eu) : c'est terminé. Clampage. Fin. Simon est mort, cliniquement mort, et cette simple phrase est une obscénité. Mais dans le même temps le coeur de Simon va devenir celui de Claire, et Claire a tellement besoin d'un coeur efficace...

C'est le récit d'une angoisse universelle, et d'un espoir universel : celui de la vie, malgré la mort.

J'ai dévoré ce roman âpre, coup de coeur et coup de poing, comme giflée par la violence de la réalité médicale, par le déchirant deuil, portée aussi par l'attente. C'est un récit qui parle à notre intimité à tous, à notre rapport au corps. Au don. Au don ultime. A la vie et à la mort. Un rapport si personnel. Oui c'est un roman qui nous parle, tout au fond de nous, au coeur de l'intime.

Pourquoi ce roman aujourd'hui? Parce que "réparer les vivants" c'est le défi et l'urgence qui se sont imposés aux hôpitaux parisiens le 13 novembre. Sauver les vivants d'abord, les réparer ensuite. Les remettre dans la vie, le mieux possible. Le principe même de la médecine, finalement, non?

Parler de ce roman aujourd'hui, c'est aussi pour penser aux blessés dans ces carnages, des blessés parfois lourdement atteints, et qui portent dans leur chair la violence qui leur a été faite.

Réparer les vivants c'est le titre d'une interview que j'ai lue récemment, un entretien avec Françoise Rudetzki, la fondatrice de SOS Attentas, qui rappelait le sort terrible des blessés.

Réparer les vivants, ce n'est vraiment pas une mince affaire.

Un seul coeur pour 2 corps ["réparer les vivants" Maylis de Kérangal]

La chanson qui va bien avec : "Ta douleur" de Camille

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article