La barbarie, tout de suite [Morgan Sportès -Tout, tout de suite-]

Publié le par la liseuse paresseuse

9782213634340.jpgAlors là... Bonjour la claque. Je viens de refermer ce livre et je ne sais pas sur quoi enchaîner tant "Tout, tout de suite" m'a impressionnée.

 

Il m'a laissé un sentiment si fort, si puissant, que toute lecture me parait fade. Ca m'avait fait ça, aussi, après HhHH. Car le dernier roman de Morgan Sportès traite de la tristement célèbre affaire du "Gang des Barbares". Souvenez-vous en janvier 2006 un jeune homme, juif, nommé Ilan Halimi est retrouvé mourant en banlieue parisienne. Il décèdera peu de temps après, victime d'un enlèvement suivi d'actes de torture. L'affaire est médiatisée, elle est choquante, hallucinante, et prendra un tour dramatiquement grotesque avec la fuite et les fanfaronnades stupides du principal suspect : Youssouf Fofana (qui sera finalement extradé de Côte d'Ivoire et jugé en France).

 

Pourquoi Ilan? Mais parce qu'il est juif, voyons, et un juif c'est riche. Si, si, cette crétine affirmation aux bons vieux relents des années 30-40 est bien le fond de la pensée du "cerveau" de l'affaire. Et puis bon, même s'il n'est pas riche, les juifs c'est soudé, "ils" paieront.

"Ils" paieront... Tout est dit : antisémitisme écoeurant, qui se croit fin et politique.

 

Morgan Sportès a compulsé les 8 000 (!) pages du dossier d'instruction, il est allé sur place, à Bagneux. Il a accompli un incroyable travail d'enquête pour livrer ce roman assez, sinon très, proche des faits, Le résultat? Une grosse baffe dans la tronche, voilà.

J'ai avalé ce livre en moins de 24 heures, incapable de le lâcher, de m'en détacher, je voulais savoir ce qu'il y avait après et après et... C'est fini.

Je n'ai pas plus d'explications une fois la dernière page tournée. De toutes façons rien de peut justifier ni permettre d'expliquer un tel déchaînement de bétise et de violence conjuguées. Mais enfin quand même : près de 30 personnes au courant qu'un jeune Elie (le nom d'Ilan dans le livre) était séquestré, quasiment nu, par des températures glaciales, le visage momifié dans un ruban adhésif... pendant 24 jours. Vingt-quatre jours!! Peut on imaginer ça? Moi non. Je ne peux toujours pas imaginer. Mais quand je ferme les yeux et que j'imagine ça, j'ai la nausée.

Des livreurs de pizza, des mineurs, des jeunes femmes aguicheuses, des petits caïds de banlieue, des toxicos, tout ce petit monde était au courant, certains ont été geôliers, d'autres ont fourni une voiture, du matériel, de l'aide. Et pas un, à un moment, ne s'est dit : "c'est pas possible, il faut arrêter tout cela".

Non Youcef, le double littéraire de Fofana, intimide tout le monde, distribue aussi bien des menaces que des promesses de récompense et, chose incroyable, ça marche. Des adultes seront également au courant, sans que ça ne change rien au dramatique destin de la victime.

Les geôliers ne sont pas de grands intellectuels, c'est un fait, mais on n'est pas dans des familles craignos, enclines à la maltraitance et à l'alcoolisme, les parents travaillent, sont modestes certes mais pas misérables, les soeurs aînées ont souvent fait de belles études.

 

Sportès dissèque avec un soin presque maniaque les ressorts de cette affaire, les enjeux, si on peut dire, pour chacun, le suivi de l'enquête de police, les atermoiements des caïds, les espoirs et puis la noirceur. Le désespoir.

 

Il ne faut pas se voiler la face, cette histoire est désespérante. Certains accusés semblent regretter, un peu, juste un peu mais l'impression que j'ai eue, à la fin, c'est qu'en fait ils s'apitoient surtout sur leur propre sort...

 

Un livre étonnant, haletant comme un roman policier, glaçant comme le "conte de faits" qu'il est. Un éclairage cru et obscène de la réification d'un être humain, juste vu comme une machine à cash... Chacun se déresponsabilise, ils sont si nombreux dans cette délirante toile macabre, que finalement, les responsabilités se divisent, hein? hein?

 

J'en ai encore froid dans le dos...

 

Pour un aperçu rapide de l'affaire et de ses conséquences vous avez la page wikipédia qui n'est pas mal faite : link

J'ai lu que ce roman figurait dans la liste des sélectionnés pour le Goncourt... Sans avoir lu toute la sélection, évidemment, je peux dire qu'il mériterait un prix littéraire pour la qualité des recherches et de l'écriture.

 

Morgan Sportès avait également écrit "l'appât" sur l'affaire Valérie Subra (attention on revient dans "Faites entrer l'accusé" ah ah on n'échappe pas aux classiques), dont Bertrand Tavernier avait tiré un excellent film.

 

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La chanson qui va bien avec : Raphaël "Cela nous aurait suffi" (j'ai hésité avec "Antisocial" de Trust mais celle-ci convient mieux quand même) 

 

 

 

 

 

 

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